Fabio Penta

L’œnologue de l’ombre aime la lumière du soleil

Fabio Penta Conseillant des dizaines de caves romandes, le passionné remporte discrètement les concours vinicoles.

Le soir du Gala des vins suisses, l’automne dernier, Fabio Penta mangeait avec sa compagne à la Maison Wenger, au Noirmont ( JU). Il savait que cinq de «ses» vins étaient finalistes du Grand Prix du vin suisse mais l’œnologue conseil était loin d’imaginer qu’un de ses clients allait remporter le titre convoité de Cave suisse de l’année, en l’occurrence la Cave du Rhodan d’Olivier et Sandra Mounir, à Salquenen (VS). Auréolé en plus du Prix du meilleur vin rouge du concours pour la Syrah 2021 élaborée ensemble.
Tandis que le Domaine de Fischer, qu’il conseille également, remportait la catégorie des vins doux. «C’était incroyable, d’autant que le Domaine de la Ville de Morges, que je conseillais à l’époque, avait été Cave de l’année en 2015. Ce qui fait de moi l’un des rares doubles lauréats.». Il le dit avec un sourire modeste, d’autant que les projecteurs se braquent toujours sur les vignerons, pas sur leurs consultants.

Cela ne me dérange pas. À l’étranger, les œnologues conseil sont des stars que les propriétaires utilisent dans la promotion de leurs vins, des Michel Rolland ou des Stéphane Derenoncourt. Ici, nous restons dans l’ombre. C’est tout le charme de la discrétion suisse.

Cent vins par jour

On le retrouve dans sa maison d’Allaman, à quelques minutes du bureau d’Œnologie à Façon, à Perroy, où il se rend tous les matins à 6 h 15, sauf quand il est sur les routes entre les vendanges et Noël. Outre tous les services aux vignerons que fournit l’entreprise qu’il a rachetée en 2021 avec deux associés, le directeur conseille personnellement une quarantaine de caves entre le Haut-Valais et Genève. Il goûte tous leurs vins chaque semaine pendant la vinification.

Cela fait une centaine d’échantillons par jour. Je commence le lundi matin à Salquenen à 7 h 30 et je redescends le Rhône tout au long de la semaine, au fil de mes clients, avant de recommencer le lundi suivant à Salquenen.

Ce qui pourrait ressembler à un pensum n’en est pas un pour le passionné.

Je dis toujours à mes deux fils que je ne me suis jamais levé un matin en regrettant de devoir aller travailler.

D’autant que tous les vignerons qu’il conseille sont devenus des amis, qu’il est forcément bien accueilli et que ses conseils sont écoutés.

Ma vie tourne toujours autour du vin

, explique celui qui ne peut pas s’empêcher d’aller visiter une ou deux caves quand il est en vacances.
Sa passion est née à l’adolescence, à côté de l’école où il ne brillait pas forcément. Son père travaillait chez Hammel, à Rolle. C’est là que le garçon a commencé à travailler pour gagner un peu d’argent, avant d’y trouver une place d’apprentissage, puis d’y progresser pendant vingt-cinq ans.

La maison était de qualité, on y a eu de jolis succès avec Charles Rolaz, son directeur.

Quand il a quitté Hammel, le patron d’Œnologie à façon, Claude Jaccard, lui a proposé de rejoindre l’entreprise de 30 employés, active de la vinification à la mise en bouteille en passant par la gazéification. «Bursinel, Rolle, Perroy, Allaman, je n’ai pas beaucoup bougé, non ?» Avec sa tranquille assurance, l’homme sait ce qu’il veut tout en s’adaptant à ses clients.

Nous sommes à leur écoute, à l’écoute de leurs besoins, de leur clientèle. Notre but est de faire le meilleur vin possible avec ce qu’on nous donne, quelle que soit la gamme. La cave est un terrain de jeu extraordinaire.

Quand on lui demande ses coups de coeur, il cite des cépages, la syrah ou le nebbiolo dans les rouges, le riesling ou les grands chardonnays bourguignons.

Des trésors confiés

En cave, il ne cherche pas à multiplier les interventions mais fera quand même tout pour améliorer les produits qu’on lui confie.

Il y a des caves qui nous donnent la clé et qui nous laissent faire. Mais ce qu’on nous confie, c’est le salaire annuel de nos clients. Nous devons y veiller. Quand je bois un vin, il doit toujours être impeccable. Et j’ai besoin de travailler dans des rapports de confiance. Si cette dernière est cassée, je préfère arrêter.

Le conseiller est rigoureux, comme l’explique son ami Kyriakos Kynigopoulos, luimême œnologue conseil en Bourgogne: «Fabio est très sérieux, il a beaucoup dégusté, il analyse beaucoup et il cherche toujours à apprendre, à trouver des idées nouvelles. Mais il est surtout humble et généreux. Et aussi très bon cuisinier.» Dans le fond, la gastronomie et l’œnologie se ressemblent beaucoup. À contempler la bibliothèque dans la cuisine d’Allaman, on comprend que, là aussi, l’œnologue aime se documenter pour progresser.

Sport et apéro

Le quinquagénaire a besoin de se dépenser, de retrouver le soleil après la cave. Après avoir longtemps joué au football, puis avoir entraîné l’équipe de son fils, il a rangé les crampons tout en gardant sa passion pour le ballon rond. Il a adopté le vélo de route et le VTT (6000 km/ an) qu’il pratique avec une petite équipe de copains, adore toujours le ski. Et l’ancien régatier en Surprise a troqué la voile pour un petit bateau moteur qui lui permet d’aller boire l’apéro avec les copains au milieu du lac.
Oui, l’épicurien aime partager les bons moments avec ses potes, recevoir à la maison. Mais il fait attention à sa consommation d’alcool. «Dans mon travail, je déguste en petites quantités et je recrache. Certains vignerons voudraient bien partager l’apéro mais il faut imaginer que j’enchaîne les caves…» Sa cave est joliment fournie de bouteilles choisies, sans qu’y reposent forcément des stars aux prix indécents.

Dans une bouteille, il n’y a toujours qu’un kilo de raisin. Le vin n’est pas bon parce qu’il est cher.

Bio

1969 Naît le 28 décembre à Interlaken avant de déménager à Bursinel en 1972.
1985 Apprentissage de caviste chez Hammel, à Rolle. Il y restera vingt-cinq ans, gravissant les échelons.
1988 École supérieure d’œnologie.
1993 brevet fédéral.
1999 Naissance de son fils Hugo, suivi par Max en 2002.
2000 Maîtrise fédérale.
2005 Direction technique de Hammel.
2011 S’engage chez Œnologie à Façon, à Perroy.
2017 Rencontre sa compagne Julie, professeur à la Haute École de Changins.
2021 Rachète avec deux associés Œnologie à Façon, 30 collaborateurs.

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